Qu'est-ce qu'un commissaire d'exposition ? David Hérisson, préhistorien et commissaire de l'exposition "Néandertal fait son chaud : 200 000 ans de changements climatiques et culturels"

« […] son rôle est de faire émerger de toutes ces idées un ensemble logique dont il est le gardien de la cohérence. »

Publié le 1 février 2024 Mis à jour le 7 février 2024

On entend souvent parler du "commissaire d'une exposition". Il s'agit d'ailleurs souvent d'enseignant·es et/ou chercheur·es... Mais savez-vous en quoi consiste ce rôle ?

David Hérisson, préhistorien au sein de l'unité de recherche ArScAn, nous l'explique dans cet entretien ! Ce préhistorien est justement commissaire de l’exposition « Néandertal fait son chaud : 200 000 ans de changements climatiques et culturels » qui se tient jusqu’au 7 juillet au musée parc archéologique Arkéos.

Vous en apprendrez aussi davantage sur le fascinant métier de préhistorien...

   
L’équipe Point Recherche : Bonjour, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Quel est le rôle d’un commissaire dans une exposition telle que « Néandertal fait son chaud : 200 000 ans de changements climatiques et culturels » ?

David Hérisson : Le commissaire est le garant du contenu d’une exposition. Il doit veiller tout au long du processus de création de l’exposition et lors de son exploitation que les contenus et les événements sont en adéquation avec les connaissances actuelles et qu’ils illustrent bien la thématique présentée.

 
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Le commissaire joue le rôle d’intermédiaire privilégié entre la structure et son personnel accueillant l’exposition et les membres du comité scientifique de l’exposition. Il joue en quelque sorte le rôle de chef d’orchestre de l’exposition. Il organise de concert avec le conservateur du musée les réunions avec le comité scientifique permettant de recueillir les avis pour faire les arbitrages et les choix sur la scénographie et les contenus.

Même s’il peut et doit s’appuyer sur le comité scientifique, le commissaire doit être la première force de proposition dans l'élaboration du fil conducteur de l’exposition (chemin de fer). Souvent les idées fusent lors des réunions et son rôle est de faire émerger de toutes ces idées un ensemble logique dont il est le gardien de la cohérence.

Au-delà de cette garantie scientifique, le commissaire peut prendre une part active dans l'élaboration logistique, scénographique et événementielle de l’exposition, en s’impliquant par exemple dans la recherche des entreprises partenaires et du prêt des œuvres, et également assurer la promotion de l’exposition de son vernissage à sa clôture.  




 
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« Apprendre la démarche scientifique de façon ludique et permettre aux enfants d’acquérir par eux-même des connaissances à partir de cette démarche guidée au fil des ateliers, c’est probablement la plus belle réussite de cette exposition. »

David Hérisson



Quel a été le cheminement qui vous y a mené ?

David Hérisson : Ce projet a débuté avec la découverte en 2013 du site paléolithique de Waziers. Le site a délivré quatre niveaux d’occupations de Néandertaliens qui ont été explorés en dix ans de fouilles archéologiques puis de travail en laboratoire. Il s’agit du second site connu dans l’Europe du Nord-Ouest pour la dernière période interglaciaire (135-112 000 ans). Ce site est d’autant plus rare qu’il a conservé dans des niveaux de tourbe de nombreux bois et vestiges organiques (feuilles, ossements, insectes…).


Parallèlement au travail scientifique sur deux numéros spéciaux dédiés (Deschodt, Hérisson dir., 2022, 2023), nous avons décidé de valoriser ce site auprès du grand public devant le caractère exceptionnel du site. Naturellement, nous nous sommes tournés vers le musée local qui valorise les sites archéologiques du Douaisis : Arkéos. Ils ont accueilli la proposition avec enthousiasme, d’autant plus qu’ils avaient programmé thématiquement une exposition de Préhistoire à l’année N+2. Après cet accord de principe de collaboration, nous avons pu entamer les discussions plus concrètes pour construire l’exposition.

 

« Ce site est d’autant plus rare qu’il a conservé dans des niveaux de tourbe de nombreux bois et vestiges organiques [...]  »

David Hérisson

  
Comment se construit un projet d’exposition ?

David Hérisson : Le projet a débuté véritablement deux ans avant l'inauguration.

Il a fallu dans un premier temps définir le commissariat d’exposition et  réunir un comité scientifique constitué d’experts du sujet. Lors des premières réunions, la thématique générale, un synopsis du contenu et le titre de l’exposition sont regroupés dans un chemin de fer, le squelette de l'exposition en quelque sorte. Ensuite, vient le temps de l’élaboration de la scénographie, un cahier des charges est établi pour un appel d’offres. La boîte choisie propose ensuite un APS (avant-projet-sommaire) puis un APD (avant-projet-définitif) avec de multiples allers-retours entre les commissaires et les scénographes. C’est aussi le moment crucial de la création des contenus, de la sélection définitive des pièces ou œuvres sélectionnées  et de l’élaboration des dispositifs qui seront présents dans l’exposition (panneaux, tables interactives, vidéos, jeux, ateliers…). A cela s'ajoutent les recherches de partenaires financiers pour financer les dispositifs (souvent numériques) les plus onéreux. Puis, vient le temps du BAT (bon à tirer) où tout est vérifié avant l’envoi aux prestataires fabriquant les supports et dispositifs. Enfin, vient le temps du montage, deux semaines avant le vernissage, où tout prend forme et sens, ponctué de coups de chaud à chaque problème rencontré.

 

« Enfin, vient le temps du montage, deux semaines avant le vernissage, où tout prend forme et sens, ponctué de coups de chaud à chaque problème rencontré. »

David Hérisson

De quoi êtes-vous particulièrement fier dans ce projet ?

David Hérisson : Je suis fier que notre proposition ait pu aboutir dans le monde réel et que les choix de proposer un parcours très didactique, pédagogique, visant à initier voire former véritablement le public a été accepté.

Et indiscutablement, ce qui me rend le plus fier c’est le retour positif du jeune public vers qui l’accessibilité a été très travaillée. Apprendre la démarche scientifique de façon ludique et permettre aux enfants d’acquérir par eux-même des connaissances à partir de cette démarche guidée au fil des ateliers, c’est probablement la plus belle réussite de cette exposition.

Comment se relient vos activités de recherches et celles de commissariat ?

David Hérisson : Le commissariat de cette exposition est une prolongation presque naturelle de mes recherches. La thématique de l’exposition est au cœur de mes problématiques de recherche et le comité scientifique est constitué d’une partie de collègues de travail avec qui je collabore dans divers projets de recherche. C’est un peu l’ultime pierre d’un édifice qu’on met des années à construire. Une fois ce savoir mûr l’ultime étape est de diffuser ces nouvelles connaissances à la société et c’est ce que permet entre autres les expositions, un transfert des connaissances au grand public.



L’équipe Point Recherche : Quelles  sont vos thématiques de recherche ?

David Hérisson : Je travaille sur la question des premiers peuplements humains en Europe. Mes recherches portent donc sur le temps long, sur près d’un million d’années, s’arrêtant autour de 40 000 ans avant le présent. J’étudie toutes les humanités qui se sont succédé majoritairement en Europe de l’Ouest, sauf la nôtre ! Enfin, à quelques exceptions près dans certains projets de recherche. Ma spécialité vise à reconstruire les comportements humains passés via principalement l’étude des industries lithiques. Ces comportements humains sont replacés dans le temps, dans l’espace et dans un contexte environnemental, notamment pour mieux appréhender l’impact des changements climatiques et environnementaux passés sur les sociétés préhistoriques.


Quelle est votre discipline et ses particularités  ?

David Hérisson : Ma discipline est la préhistoire, dont les premières heures se sont écrites le long de la Somme au XIXe siècle. Ce sont les hommes et femmes de la préhistoire qui sont mes objets d’étude. Leur analyse se fait de manière  indirecte car nous ne pouvons plus les observer et nous n’avons à disposition que les vestiges qu’ils nous ont laissés et parmi ces derniers, ceux que le temps et les phénomènes géologiques ont bien voulu préserver depuis leur abandon. C’est une anthropologie à l’aveugle que nous pratiquons en préhistoire d’une certaine manière.


Quelle est votre unité de recherche ?

David Hérisson : Je suis chercheur au sein du laboratoire ArScAn, le plus important laboratoire d’archéologie à l’échelon national. Nous sommes organisés en 11 équipes thématiques de recherche, et je fais partie de l’équipe AnTET, Anthropologie des Techniques, des Espaces et des Territoires au Pliocène et au Pléistocène. Au sein de l’UMR, mes recherches s'inscrivent notamment dans l’axe transversal ArchéoFab, véritable plateforme d’échanges sur des questions géographiques historiques. Au-delà de l’UMR ArScAn, les collaborations sont permanentes avec les collègues du LGP de Thiais sur les questions environnementales et peuvent être plus ponctuelles selon les projets, sans limites géographiques ou disciplinaires, tout dépend vraiment des questions à traiter. 

 
CV éclair :

J’ai été formé à l’université de Lille en archéologie (Licence) puis en préhistoire (Master et Thèse). Après trois années de thèse financées, j’ai rejoint l’NRAP lors de mes deux dernières années de thèse. J’y ai co-dirigé et dirigé trois grandes fouilles préventives sur le Canal-Seine-Nord Europe. Puis, faute de contrats et de succès aux concours, j’ai monté mon auto-entreprise ciblé sur la numérisation 3D et l’étude des collections préhistoriques. En 2017, j’ai été recruté au CNRS en tant que chargé de recherche au sein d’ArScAn.
 

L’équipe Point Recherche : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser a ce domaine ?

David Hérisson : Je me suis intéressé aux sciences et à l’histoire de manière générale très jeune, dès l’école primaire. Cette curiosité ne m’a pas quitté durant mes années de collège avec les grandes civilisations évoquées en cours d’histoire, tout comme la découverte du vivant et des phénomènes géologiques en SVT. La question de l’évolution de l’Homme m’a particulièrement intéressé au lycée et plus particulièrement celle du lien difficile à faire entre les espèces d’Hominidés et les plus anciennes industries lithiques retrouvées en Afrique. L’archéologie cochait théoriquement sur le papier toutes les cases de ce que j’aimais car elle me permettait de pratiquer des disciplines variées en laboratoire et dehors sur le terrain, tout en voyageant et en découvrant d’autres lieux et personnes.

Je me suis donc lancé sur cette voie à l’université comme premier choix, et ce fut le bon !

 
 
 
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Mis à jour le 07 février 2024