Mais au fait, c'est quoi la LPR?

* La Loi Programmation de la Recherche

Publié le 1 octobre 2020 Mis à jour le 4 janvier 2021

Le projet loi de programmation de la recherche (LPR) a été initié début 2019 par le Président de la République et le Premier ministre et présenté par la ministre de l'Enseignement supérieur de la recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, au Conseil des ministres du 22 juillet 2020. Il a été adopté en première lecture avec modifications à l'Assemblée Nationale le 24 septembre. Le 30 octobre dernier le Sénat l'a adopté en première lecture avec modifications, pour une entrée en vigueur début 2021. Nous avons interviewé notre vice-présidente déléguée à la Recherche Véronique Champeil-Desplats pour en savoir plus.

Point COMMUN : Qu’est-ce que la LPR ?

Véronique Champeil-Desplats : La LPR est, d’abord, comme son nom l’indique une loi de programmation. Il s’agit d’un type de loi particulier qui associe le Parlement à la détermination d’objectifs poursuivis dans le cadre de politiques publiques définies par le gouvernement sur un moyen ou long terme, en général entre 5 ans et 10 ans. À la partie relative à la programmation proprement dite ont été ajoutées de nombreuses dispositions d’organisation et d’encadrement de la vie universitaire, notamment sur le Conseil National des Universités, l’exercice des libertés académiques, les activités des enseignants-chercheurs, l’établissement Condorcet, la création d’une école vétérinaire privée…, nous y reviendrons. Afin d’éviter que ces dispositions ne soient considérées comme des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire sans lien avec l’objet initial de la loi, la « loi de programmation pluriannuelle de la recherche » a été rebaptisée « loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur ».

Point COMMUN : Dans quel contexte cette loi intervient-elle ?

Véronique Champeil-Desplats : La LPR intervient dans un double contexte. Tout d’abord, elle prend place dans un contexte international marqué par l’accentuation de la concurrence entre établissements et entre États. L’objectif est, d’une part, d’attirer celles et ceux qui sont considérés (sans que l’on ne sache toujours précisément sur quels critères) comme des « meilleurs » étudiants et, d’autre part, de gagner des places dans les classements internationaux - le plus connu est celui de Shanghai -, en comptant sur les « meilleures » recherches, les « meilleurs » enseignants et chercheurs, c’est-à-dire les lauréats effectifs ou potentiels de médailles et de prix internationaux. Le pari est qu’en réussissant sur ces deux fronts très étroitement liés, les établissements entreront dans une spirale positive dite de l’excellence : attraction des étudiants, mais aussi de fonds publics et privés améliorant davantage encore les conditions d’enseignement et de recherche.

A côté de ce contexte international, il y a aussi le contexte français. On en relèvera ici deux caractéristiques.

La première est le constat sur lequel chacun s’accorde : la France décroche. Ce constat a notamment été souligné par les trois rapports préparatoires à la LPR publiés en septembre 2019 respectivement intitulés « Financement de la recherche », « Recherche partenariale et innovation », « Attractivité des emplois et des carrières scientifiques ». La France a en effet reculé dans les classements internationaux ; les moyens budgétaires n’atteignent pas les objectifs fixés par le processus de Bologne en 1998, l’investissement dans la recherche étant loin des 3% du PIB requis ; les traitements et primes des différents personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur figurent parmi les moins élevés d’Europe ; les métiers de la recherche et de l’enseignement du supérieur ont perdu leur attractivité. C’est pourquoi un vaste plan de relance est envisagé.
Mais, et c’est la seconde caractéristique du contexte national, celui-ci s’inscrit dans une histoire d’au moins dix ans de changement de conception du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche française. Depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) adoptée le 10 août 2007, l’évolution sémantique fournit un indice du bouleversement paradigmatique à l’œuvre : au service public répond la concurrence ; à l’administration répond la gouvernance ; aux fonds structurels répond le financement sur projet ; à la poursuite de l’intérêt général répond celle de l’efficacité, de la performance et de la compétitivité ; au statut et à la vocation pour le métier de savant répondent le contrat et l’attractivité d’un projet ; à la recherche fondamentale sur le temps long répond la mission finalisée et évaluée à court ou moyen terme…


Point COMMUN : Quels sont les arguments de ceux qui soutiennent la loi ?

Véronique Champeil-Desplats : Il va de soi que les principaux arguments soulignent l’effort budgétaire consenti. Il est fait valoir qu’il s’agit d’un engagement sans précédent et qu’il se double d’un accord sur la revalorisation des carrières – notamment du début de carrière –, sur les possibilités d’avancement dans le corps des professeurs et sur une augmentation des primes. Par ailleurs, la loi insiste sur les bienfaits des recherches conduites sur projet encouragées par une augmentation des moyens données à l’ANR ainsi que sur ceux du renforcement des liens partenariaux entre la recherche publique et la recherche privée. Par la création de nouvelles formes d’emploi contractuel, la loi compte aussi attirer ou conserver des jeunes talents de niveau international, autrement dit lutter contre la fuite des cerveaux.

Point COMMUN : Quels sont les principaux changements prévus par cette loi ?

Véronique Champeil-Desplats : Si elle n’était finalement pas que la suite (idéo-)logique des réformes entreprises depuis 2007, on pourrait dire, en parodiant un grand juriste du tournant des XIXème et XXème, que la LPR « nous change notre université » . Plus précisément, une première idée-force du projet tel qu’il a été présenté initialement au parlement réside dans l’accentuation du processus de contractualisation tant du statut des personnels que de celui des activités de la recherche elle-même.
S’agissant des personnels, la contractualisation caractérise, d’une part, la création d’un dispositif dit « Tenure track ». Il consiste à recruter de nouveaux types de chercheurs pour une durée de 3 et 6 ans ayant vocation à être titularisé soit dans le corps des directeurs de recherche, soit dans celui des professeurs d’université, sans avis préalable du CNU ou des sections concernées du CNRS. La loi crée également, d’autre part, un contrat de mission scientifique à durée indéterminée destiné à mettre fin à des situations de reconduction à répétition de contrats à court terme. Toutefois, ce contrat est étrangement relié à l’échéance de la réalisation de projets ou d’opérations de recherche prédéfinie.
La contractualisation, considérée dans un sens plus large, concerne aussi les activités de recherche. Elle s’exprime par l’accroissement des moyens conférés à l’ANR pour encourager une recherche sur grands projets, par le renforcement de l’HCERES et de ses missions d’évaluation des établissements, ou encore par l’incitation à chercher des financements et des contrats privés. À la contractualisation s’ajoute ici un mouvement de privatisation : création de contrats doctoraux financés en entreprise (outre les CIFRE), intéressement des chercheurs aux dispositifs partenariaux qu’ils développent, possibilité de créer des entreprises ou de participer à des entreprises existantes, facilitation de la mobilité vers le secteur public mais aussi vers le secteur privé…
À ce cadre initial, se sont ajoutés plusieurs amendements adoptés au cours des débats parlementaires. Dans le prolongement de l’esprit de la loi qui vient d’être décrit, l’un prévoit la dispense de la qualification du CNU pour l’accès au corps des professeurs au bénéfice des maîtres de conférence titulaires et l’expérimentation pendant quatre années d’une même dispense pour l’accès au corps des maîtres de conférences sur demande des établissements et autorisation du ministère. Sont exclues de l’expérimentation les disciplines de santé et celles qui disposent d’un concours national d’agrégation de l’enseignement supérieur.

Les autres amendements révèlent un autre aspect de la loi, celui relatif à l’encadrement de l’exercice des libertés universitaires. On relèvera, tout d’abord, dans le contexte de l’assassinat de Samuel Paty et d’une polémique sulfureuse sur l’ « islamo-gauchisme » qui imprégneraient certaines recherches universitaires et leurs auteurs, l’initiative de subordonner l’exercice des libertés académiques au respect des valeurs de la République. L’amendement, dont la teneur a finalement été neutralisée en commission mixte paritaire, prévoit dorénavant que « les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs ». Un deuxième amendement fait également polémique, en créant, par transposition d’une disposition du code de l’éducation prévue pour les collèges et les lycées, un nouveau délit qui punit « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ». On signalera enfin d’autres amendements qui, dans un esprit différent, entendent rappeler des obligations de respect des principes et des règles de l'intégrité scientifique ou prévoient qu’à l'issue de la soutenance de leur thèse, les docteurs prêtent serment en s’engageant à ce respect.

Point COMMUN : Pourquoi la LPR suscite-t-elle une opposition au sein de la communauté universitaire ? Quels sont les arguments développés ?

Véronique Champeil-Desplats : Au fond, les oppositions révèlent un manque de confiance dans les mesures annoncées et le sentiment qu’elles ne permettront pas de répondre aux besoins structurels et urgents des universités et établissements de recherche. On le rappelle, l’état d’esprit de la loi rompt en effet avec la conception de l’organisation et des missions de service public de la recherche et de l’enseignement-supérieur qui primait jusqu’alors. Beaucoup de chercheurs et d’enseignants-chercheurs se sentent dévalorisés et partagent le diagnostic de ce qu’ils ne font pas, ou plus, le métier pour lequel ils s’étaient engagés : manque de moyens structurels, matériels et humains, bureaucratisation des missions, sur-prépondérance des tâches administratives, recherche de fonds plutôt que recherche de fond…
Dès lors, à la lecture de la LPR, de nombreux chercheurs et universitaires doutent. Ils doutent, tout d’abord, de la sincérité et du niveau réel de l’effort budgétaire consenti à long terme. Non pas parce que la durée de 10 ans serait en soi problématique, mais en raison de la projection de l’effort dans le temps. Celui-ci est progressif, sans correction de l’inflation et pèse essentiellement sur les gouvernements futurs, alors les universités et établissements de recherche attendent des moyens budgétaires, matériels et humains structurels dès maintenant, dès 2021. C’est pourquoi les sénateurs des oppositions avaient proposé de concentrer la programmation budgétaire sur 7 années.

Nombreux chercheurs 
et universitaires ne se retrouvent pas non plus dans les nouvelles formes de contractualisation proposées. Ils craignent que leur extension conduise à terme à la disparition de la fonction publique statutaire de la recherche, à la précarisation des personnels, à l’exacerbation du localisme et à la valorisation du service rendu, mais aussi à la dépendance de l’exercice de leurs missions tant à des intérêts privés qu’à une politique scientifique d’Etat. Seraient alors remises en cause l’essentiel des libertés académiques, à savoir la liberté de la recherche, l’indépendance des chercheurs et enseignants-chercheurs…

Point COMMUN : En tant que juriste, comment analysez-vous cette loi ?

Véronique Champeil-Desplats : Je ne sais pas s’il existe une façon spécifiquement juridique d’aborder la loi : beaucoup de spécialistes d’autres disciplines en ont rapidement perçu les enjeux. À tout le moins peut-on pointer quelques traits marquants à l’égard des caractéristiques habituelles du droit de la fonction publique, du droit du service public de l’enseignement supérieur ou encore du droit constitutionnel. Ainsi relèvera-t-on, s’agissant du premier point, l’implantation d’une fonction publique contractuelle ; s’agissant du deuxième point, la confortation des politiques d’établissement – de leur « autonomie » – et l’accentuation de l’incitation à trouver des financements propres dans le cadre de partenariats public/privé en tout genre ; enfin, s’agissant du troisième point, la confirmation de la prédominance directe et indirecte (soutien à des amendements parlementaires choisis) du gouvernement dans la procédure législative. Au bout du compte ce ne sont pas moins que les conceptions de la liberté de la recherche, de l’indépendance des chercheurs et enseignants-chercheurs, de l’égalité d’accès à la fonction publique ou encore de l’égalité des usagers devant le service public de l’enseignement supérieur qui sont mis en question.

À ce stade et à ce jour, le juriste s’en remet au Conseil constitutionnel pour qu’il se prononce sur la constitutionnalité de la loi. Occasion est donnée à cette institution de produire une grande décision sur le service public de l’enseignement supérieur. Il reste que, quelle que soit sa décision, le Conseil constitutionnel ne livrera qu’une vérité juridique sur la loi – la sienne - qui n’obère pas la légitimité de ce que chacun peut penser, politiquement, sur le fond.

Merci d'avoir répondu aux questions de Point COMMUN !

Mis à jour le 04 janvier 2021