Vous êtes l'université : résultats de l'enquête conditions de vie des étudiant.es, par Fanny Bugeja-Bloch

Publié le 6 mars 2023 Mis à jour le 9 mars 2023

Au printemps 2022, l’Université Paris Nanterre a lancé une grande enquête auprès de tou·tes ses étudiant·es afin de mieux comprendre leurs conditions de vie et les difficultés auxquelles ils ou elles peuvent être confronté·es. Cette enquête a été coordonnée par la mission précarité et santé étudiantes de l’université. Fanny Bugeja-Bloch nous présente les premiers résultats.

Point COMMUN : Bonjour et merci de prendre le temps de répondre à nos questions, dans un premier temps, pouvez-vous vous présenter ?

La mission précarité et santé des étudiant-es de Paris Nanterre a été créée en mars 2021 et regroupe cinq enseignantes-chercheuses de sociologie, dont les thématiques de recherche sont variées (logement, trajectoires scolaires, famille, travail, rapports de genre, etc.)

Fanny Bugeja-Bloch : Je suis Fanny Bugeja-Bloch, maîtresse de conférences en sociologie à Nanterre depuis plus de 10 ans. Depuis mon arrivée, j'ai été chargée de penser les enseignements de méthodes quantitatives et leurs progressions, j'ai ainsi enseigné cela à chaque niveau. Je m'occupe notamment des étudiant-es de L2 de sociologie : l'enjeu est de construire des enquêtes avec et sur les étudiant-es de huit universités partenaires sur des thèmes différents chaque année. Cette année, c'est la question des sociabilités étudiantes et de l'isolement qui a été retenue. Mes objets de recherche portent par ailleurs sur les inégalités de logement et les étudiant-es (accès à l'enseignement supérieur et réorientations notamment).



Pouvez-vous nous expliquer les objectifs de cette enquête ? 

Fanny Bugeja-Bloch : L'enquête Conditions de vie des étudiant-es de Nanterre s'inscrit dans la politique de lutte contre précarité menée par l'Université. Elle fait partie des enquêtes menées par la mission précarité et santé de l'Université Paris Nanterre afin d'identifier, chez nos étudiant-es, l'ampleur des précarités étudiantes et ses formes plurielles. Il y a un réel enjeu à faire connaître à notre échelle, aux étudiant-es, aux personnels enseignants et administratifs, et au-delà, l'état actuel de la précarité étudiante. Il s'agit également de voir dans quelle mesure les étudiant-es connaissent et mobilisent les services et soutiens institutionnels et associatifs proposés à l'Université. Cette enquête par questionnaires, réalisée au printemps dernier, sera complétée par des entretiens auprès d'étudiant-es dans les semaines qui viennent.

Comment avez-vous procédé pour interroger tous ces étudiants ? 

Fanny Bugeja-Bloch : Avec le soutien de nombreux acteurs que l'on remercie vivement (la PUDN et la MSH, la présidence, la DRI, la cellule apogée et le DPO), nous avons pu envoyer le questionnaire en ligne à l'ensemble des étudiant-es inscrit-es l'an dernier à l'université. Après quelques relances, nous avons recueilli environ 2500 réponses exploitables. Nous remercions tout-es celles et ceux qui ont participé à cette enquête. Ces données ont été redressées pour corriger les biais de réponses selon le sexe, la bourse, la série et la mention au baccalauréat, le niveau, la discipline et la formation, la nationalité et l'origine sociale. De cette manière, les résultats que l'on présente sont représentatifs de la population inscrite à l’Université Paris Nanterre en 2021-2022.

Quels sont les premiers résultats de votre étude ?

Fanny Bugeja-Bloch : Les chiffres tirés de l'enquête confirment malheureusement l'ampleur et l'étendue de la précarité qui touche nos étudiant-es. Chaque semaine, à la mission, nous recevons des mails d'étudiant-es dans des situations d'urgence, nombreux-ses sont celles et ceux qui remplissent ensuite le questionnaire d'aide. Cela se reflète dans les données d'après lesquelles 20% des étudiant-es font l'expérience de grandes précarités. Celles-ci touchent toutes les sphères de vie et se cumulent la plupart du temps : aux problèmes de logement, de transport et de santé (physique et psychologiques), s'ajoutent les galères pour manger à sa faim, pour accéder aux soins, pour joindre les deux bouts en travaillant bien souvent plus d'un mi-temps.

Quelles sont les différentes aides proposées par l’université dont peuvent bénéficier les étudiant.es en situation de précarité ? 

Fanny Bugeja-Bloch : La plupart des dispositifs d'aides institutionnelles (assistantes sociales, bourse, service médical, exonération des droits d'inscriptions, logement Crous, etc.) sont connus des étudiant-es. Mais certains sont méconnus, à commencer par notre mission. Ces dispositifs constituent des supports et aident les étudiant-es, mais il faut les développer davantage encore pour corriger les inégalités.  Entre deux étudiant-es au profil sociologique comparable (concernant telle et telle variable), celui ou celle qui déclare ne pas avoir besoin des aides fait moins l'expérience de la précarité que celui ou celle qui en bénéficie : cela montre que les aides ciblent bien celles et ceux qui en ont besoin mais ne suffisent pas à éliminer les expériences de précarité au quotidien (impayés, difficultés à se nourrir, se loger, s'équiper, etc.)."   Enfin certain-es étudiant-es, nombreux-es, se voient refuser les aides (15% des étudiant-es n'habitant pas chez leurs parents ont fait une demande de logement social qui leur a été refusée) et se trouvent ainsi dans des situations vulnérables.

Est ce que les résultats de cette enquête sont représentatifs de la situation des étudiant.es en France ? Comment s’inscrit la politique de l’université dans le contexte régional, national ?

Fanny Bugeja-Bloch : Les résultats de l'enquête se lisent à l'échelle de l'Université de Paris Nanterre mais offrent des perspectives politiques plus larges, notamment pour l'ensemble des étudiant-es des universités françaises.
Les résultats montrent que les difficultés dépassent le cadre de la politique locale de l'université. Il y a urgence à combattre les vulnérabilités étudiantes par une politique nationale d'envergure, en déployant notamment une offre de logements sociaux étudiant-es à la hauteur des besoins et en leur donnant les moyens (financiers) de réussir leurs études (bourses, exonération des frais d'inscription et aides d'urgence ou, plus ambitieusement, avec un revenu étudiant qui allègerait les démarches administratives). 

Les premiers résultats de l'enquête ont été présentés lors de la conférence territoriale sur les conditions de vie étudiantes en Île-de-France le 14 février dernier (Ndlr : dans le cadre des Premières assises territoriales de la vie étudiante, organisées par la région académique d’île-de-France). Ces enjeux de logement et de difficultés matérielles sont particulièrement forts pour les francilien-nes.


Vos travaux d’exploration des données de cette enquête se poursuivent, comment envisagez-vous la suite ?

Fanny Bugeja-Bloch : Nous poursuivons actuellement l'analyse des données et nous intéressons en particulier aux effets du recours, non recours et des refus d'attribution des aides sur la précarité vécue. Nous aimerions construire une typologie des étudiant-es selon les différentes dimensions de la précarité. Cette enquête va se prolonger très bientôt par des entretiens qui permettront notamment d'inscrire la précarité dans les trajectoires des étudiant-es.


 

Mis à jour le 09 mars 2023