FÊTE DE LA SCIENCE : Svetlana Vassilieff et Jessica Legendre à propos d'une thématique étonnante : les modifications dentaires en Mésoamérique.

« La recherche en archéologie fait souvent appel à plusieurs disciplines complémentaires entre elles, chacune abordant un contexte sous un angle différent et avec des méthodes différentes. Cette combinaison permet d’aborder un contexte dans sa globalité et d’affiner certaines hypothèses. »

Publié le 15 juillet 2021 Mis à jour le 9 novembre 2021

À l’occasion de la Fête de la science, Svetlana Vassilieff et Jessica Legendre proposent une communication sur une thématique étonnante : les modifications dentaires en Mésoamérique. Vous découvrirez comment, grâce à la microscopie électronique, il est possible d’identifier les techniques à l’origine de ces modifications réalisées du vivant de la personne ! Cette communication sera suivie d’une visite du microscope électronique à balayage (MEB) de la MSH Mondes. Svetlana Vassilieff, doctorante au laboratoire CNRS Archéologie des Amériques, nous en dit plus sur son sujet de recherche.
La Fête de la science 2021 à l'Université Paris Nanterre s'est achevé le 11 octobre 2021, → voici un retour en chiffres et en images sur cet événement !

 


L’équipe Point Commun : Dans quel contexte et objectifs ces modifications ont-elles été réalisées ?

Svetlana Vassilieff : Bien qu’elle n’était pas systématique, la pratique de la modification dentaire en Mésoamérique était assez répandue et se caractérise par le limage de certaines dents ou l’incrustation de pierres précieuses. Elle répondait à des raisons culturelles variées dont les différentes hypothèses, basées sur les témoignages ethnohistoriques et les faits archéologiques, voire sur la comparaison ethnographique, ont permis de mieux comprendre les enjeux d’une telle coutume.

Chez les sociétés précolombiennes, les modifications corporelles ont souvent une fonction identitaire sociale et culturelle. Ainsi, la modification dentaire participe à l’expression d’une identité et d’une conception, individuelle et/ou collective, qu’elle soit sociale, ethnique, symbolique ou esthétique. Par exemple, le fait que les individus concernés le sont majoritairement à partir de l’adolescence, conforte l’idée d’un rite initiatique. Cela peut aussi permettre de marquer un statut social ou l’appartenance à un groupe.

Le type de modification peut également jouer un rôle : on retrouve par exemple davantage d’incrustations dans certains contextes élitaires. Enfin, on sait par les chroniqueurs espagnols arrivés sur le continent au XVIe siècle, que le limage dentaire était pratiqué pour des raisons esthétiques. Cela correspondait donc à un critère de beauté.

À lire dans Le Bizzareum  → « Alteration dentaires volontaires : mutilations, esthétisme et symboles. »

L’équipe Point Commun : L'approche technologique et tracéologique avec laquelle vous abordez ce sujet est assez récente et encore peu exploitée dans ce domaine. Quelles sont les caractéristiques de ces approches, leur histoire et les perspectives qu’elles dessinent ?

Svetlana Vassilieff : Ces approches se sont inspirées des méthodes développées en Préhistoire française à partir des années 1960, sur la technologie des matériaux lithiques et osseux. L’approche technologique a pour objectif de comprendre les comportements techniques des populations passées à travers l’étude des techniques, des outils et des gestes mis en œuvre dans une production, et de proposer ainsi des chaînes opératoires. L’approche tracéologique quant à elle, permet de caractériser les usures issues des techniques grâce à l’observation microscopique des micro-traces. En effet, les outils utilisés (type, matériau) et la façon dont ils ont été utilisés laisseront des traces spécifiques sur la matière travaillée, ici les dents. Une autre particularité de cette approche est qu’elle nécessite souvent des reconstitutions expérimentales afin d’avoir un corpus de comparaison des techniques utilisées et des traces techniques qui en découlent. Les observations nécessitent un premier examen à la loupe binoculaire puis au Microscope Électronique à Balayage qui offre une forte capacité de résolution pour mieux caractériser ces traces.

 
Retrouvez cette thématique fascinante (et d'autres très différentes) dans → la programmation de la "Fête de la science 2021" 
Dans le domaine des modifications dentaires, l’étude des processus et des techniques de réalisation est encore peu exploitée à l’exception de rares contextes mayas où, chez des sociétés longtemps restées sans métal, l’utilisation de silex ou d’une pierre abrasive a été proposée. Aucun outil spécifique à cette activité n’ayant encore été identifié en contexte archéologique, une analyse technologique (identification des techniques) et tracéologique (identification des traces issues des techniques) a donc pour vocation de s’inscrire dans la poursuite de ces travaux. Appliquée cette fois à un corpus géographique et culturel plus large, elle doit aussi permettre d’observer ou non l’existence de traditions techniques différentes dans les régions étudiées.
 

« L’objectif premier de ce travail était de différencier les modifications volontaires et involontaires. Nous avons dans le même temps estimé l’état d’usure dentaire des individus, la distribution pathologique, certains marqueurs osseux de stress non spécifiques (hypoplasie de l’émail) et de faits propres au sujet (caractères discrets), cela à partir des crânes et des dents. » 

Svetlana Vassilieff - Doctorante


Procédés de perforation issues de la publication PROVENZANO N., 2001, Les industries en os et bois de cervidés des Terramares Emiliennes, Thèse de Doctorat, Université Aix-Marseille II.
Procédés de perforation issues de la publication PROVENZANO N., 2001, Les industries en os et bois de cervidés des Terramares Emiliennes, Thèse de Doctorat, Université Aix-Marseille II. Procédés de perforation issues de la publication PROVENZANO N., 2001, Les industries en os et bois de cervidés des Terramares Emiliennes, Thèse de Doctorat, Université Aix-Marseille II.




L’équipe Point Commun : Qu’est-ce que cette approche vous a permis qui n’aurait pas été possible (ou plus poussif) en utilisant d’autres méthodes moins innovantes ?

Svetlana Vassilieff : L’observation microscopique permet de valider ou non le caractère volontaire de certaines modifications qui peuvent être confondues avec un choc accidentel ou certaines activités paramasticatoires, c’est-à-dire non alimentaires et qui peuvent aussi modifier l’aspect naturel des dents (transformation de fibres végétales ou utilisation de cure-dents, par exemple). Cette différenciation s'appuie sur une grille de critères qui prend en compte les dents affectées, l’aspect et l’emplacement des usures. Une observation à grande échelle, notamment au Microscope Électronique à Balayage (M.E.B.) permet de mieux caractériser les traces techniques, quand elles sont conservées et ainsi mieux les comparer entre elles (leur forme, organisation, mesures etc).


L’équipe Point Commun : Comme souvent en archéologie, cette thématique mêle plusieurs disciplines et spécialisations variés et complémentaires, lesquelles et comment dialoguent-elles ?

Svetlana Vassilieff : En effet, la recherche en archéologie fait souvent appel à plusieurs disciplines complémentaires entre elles, chacune abordant un contexte sous un angle différent et avec des méthodes différentes. Cette combinaison permet d’aborder un contexte dans sa globalité et d’affiner certaines hypothèses. Notre recherche relève en grande partie du domaine de la bio-archéologie, à savoir l’étude des marqueurs permanents du corps, visibles sur les restes osseux et dentaires (modification dentaire et crânienne). Leur étude permet d’aller au-delà de l’information purement biologique des individus pour mieux comprendre certains aspects sociaux-culturels des groupes étudiés. Ainsi se mêlent les aspects bio-anthropologique (âge, sexe, marqueur bio-culturel), socio-culturel (en lien avec le traitement funéraire des individus, témoin de normes, croyances et de l’organisation sociale d’un groupe) et l’aspect technique (lié à la réalisation des modifications dentaires). Ce dernier fait appel à l’analyse technologique, la tracéologie et l’expérimentation mentionnées plus tôt. Enfin, l’ethnohistoire et la comparaison ethnographique nous permettent d’élargir certaines connaissances qui ne sont pas toujours accessibles par l’archéologie seule et ainsi d’apporter des clés d’interprétation (outillage, motivations etc., le limage dentaire étant encore d’usage dans certains pays d’Afrique et d’Asie).

 

« l’ethnographie, comme l’expérimentation, seules, ne peuvent constituer un corpus de comparaison. Ces démarches sont complémentaires et permettent la formulation d’hypothèses en archéologie (...) »

Svetlana Vassilieff - Doctorante




L’équipe Point Commun : Qu’est-ce qui vous a motivé pour participer à la programmation de la fête de la science ?

Svetlana Vassilieff : La proposition de participer à la fête de la Science a suivi de peu les dernières observations microscopiques de mon corpus de recherche. Cela a été l’opportunité de diffuser l’objet de cette thématique, les modifications dentaires et leurs techniques, qui est encore peu connue en dehors des Amériques et dont la méthode d’étude est innovante. C’était aussi un moyen de valoriser les résultats obtenus au M.E.B. et d’exposer les potentialités du microscope et son utilisation en archéologie. Par ailleurs, le partage et l’échange sont toujours des expériences enrichissantes.

 
Retrouvez cette thématique fascinante (et d'autres très différentes) dans → la programmation de la "Fête de la science 2021" 

L’équipe Point Commun : Que diriez-vous à un chercheur qui aimerait aussi (ou hésite) se lancer dans des actions de vulgarisation et de diffusion ?

Svetlana Vassilieff : La vulgarisation scientifique permet de toucher un plus grand public, souvent intéressé mais qui n’a pas toujours accès à l’information. La diffusion étant la suite logique de la recherche, la rendre accessible par différents moyens permet aussi de sensibiliser, valoriser et faire découvrir des thématiques variées à un public large.

 


L’équipe Point Commun : Vous faites partie d’une UMR qui était hébergée à la MSH mondes, mais vous avez aussi un second lien fort avec l’Université Paris Nanterre. Dites-en nous plus !

Svetlana Vassilieff : Bien qu’elles soient toujours en lien, l’UMR 8096 Archéologie des Amériques n’est plus hébergée à la MSH Mondes depuis cette année. Nos locaux se trouvent désormais dans des locaux de Paris 1, dans le 4e arrondissement de Paris.
En effet, mon parcours en archéologie a débuté à l’Université de Nanterre puisque j’y ai effectué ma Licence avant de poursuivre à Paris 1 en archéologie des Amériques.

L’équipe Point Commun : Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser à ce sujet en particulier ? Quels sont les sujets que vous aimeriez creuser à l’avenir ? Que peut-on vous souhaiter ?

Svetlana Vassilieff : J’ai toujours été intéressé par l’anthropologie, l’étude de l’Homme en général sous ses aspects physiques, psychologiques, culturels… Dès la Licence, on nous pousse à aller faire du terrain l’été pour nous former et j’ai rapidement eu l’occasion de fouiller des contextes funéraires. Bien que ma décision était déjà prise en entamant mon parcours universitaire, mon choix a été vite confirmé de me spécialiser en archéologie funéraire, tant pour l’étude des restes osseux que pour ce qui a trait aux croyances et à la symbolique liées aux comportements humains. Lorsqu’il a fallu me spécialiser en Master, mon futur directeur, à l’époque, m’avait parlé des recherches à explorer liées aux modifications dentaires en Mésoamérique. Je ne connaissais pas le sujet, que j’ai trouvé intrigant et original et j’ai donc poursuivi dans cette thématique.

 

 

« À travers une série de tests expérimentaux, nous avons tenté de mieux comprendre les modalités de production et les conséquences directes des modifications dentaires intentionnelles, avant de comparer les résultats avec les exemplaires présents au sein de la collection Génin du musée de l’Homme de Paris. »

Svetlana Vassilieff - Doctorante



 
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Mis à jour le 09 novembre 2021