Héros du quotidien : Florian Grisel, médaille de bronze du CNRS

Une distinction réservée aux jeunes chercheurs très prometteurs dans leur domaine !

Publié le 21 septembre 2018 Mis à jour le 12 juillet 2019

Pour ce numéro du mois d'octobre, nous avons rencontré Florian Grisel, qui sera médaillé de bronze du CNRS le 29 novembre. Nous avions de nombreuses questions à lui poser. Découvrez ce mois-ci le portrait d'un jeune chercheur passionné et passionnant !


Retrouvez le contact de Florian Grisel sur le site de l'université



Point COMMUN : Pouvez-vous vous présenter et nous présenter votre parcours ? Comment êtes-vous devenu chercheur ?


Florian : Je m’appelle Florian Grisel, j’ai 36 ans et je suis chercheur au Centre de théorie et analyse du droit (CTAD - UMR 7074). Le CTAD est une unité mixte de recherche qui dépend de l’Université Paris Nanterre, de l’Ecole normale supérieure et du CNRS. J’assure également des cours à King’s College à Londres.
J’ai commencé par étudier à Sciences po Paris puis je me suis orienté vers des études de droit à l’Université Paris 1, en droit comparé. A partir de là, les choses se sont enchaînées de manière assez désordonnée: j’ai obtenu des bourses pour étudier aux Etats-Unis, à l’université de Columbia puis à celle de Yale. J’ai commencé ma thèse et en parallèle, j’ai passé le barreau à New York et à Paris. Je suis revenu en France, où j’ai commencé une carrière d’avocat dans un cabinet américain. La vie d’avocat, bien qu’intéressante, ne me satisfaisait pas intellectuellement. Puis j’ai soutenu ma thèse et j’ai postulé au CNRS. Je n’ai pas été pris immédiatement, mais j’ai persévéré et j’ai été embauché en septembre 2013. J’ai alors pris la décision d’abandonner ma carrière d’avocat. J’ai alors pu rejoindre le CTAD, ce qui a littéralement changé ma vie.

PC : Quel a été le déclic pour vous lancer dans cette voie ?

Florian : Deux éléments ont été déclencheurs dans ma décision de devenir chercheur. Un premier élément est assez circonstanciel et tient au fait que ma thèse de doctorat a été publiée et a reçu un prix (ndlr : le prix Alexandre Varenne). Cela m’a donné confiance en moi et m’a permis de me dire que je pouvais peut-être prétendre à une carrière de chercheur ou une carrière universitaire. Le second élément est également circonstanciel et tient à une rencontre que j’ai faite quand j’étais étudiant à Yale. J’y ai rencontré un chercheur du CNRS qui assurait des enseignements semestriels à la faculté de droit. Il m’a parlé de la recherche et du CNRS et l’idée a commencé à germer dans un coin de ma tête. Nous sommes restés en contact et il m’encourageait régulièrement à postuler comme chercheur au CNRS. Je lui dois beaucoup car c’est ce que j’ai fini par faire ! !


PC : Quel est votre sujet / thème de recherche ?

Florian : Mon thème principal de recherche est l’arbitrage international, qui est un mode de règlement des litiges entre entreprises et/ou Etats au niveau international. L’arbitrage m’intéresse car il s’agit d’un système « autogouverné » au niveau international, ce qui signifie qu’il ne dépend pas (ou peu) des Etats pour être régulé. Cette étude de cas m’a permis d’étudier la manière dont des systèmes sociaux apparaissent, se complexifient et donnent naissance à des tribunaux (et à des mécanismes propres de gouvernance). J’ai eu la chance de croiser le chemin d’un chercheur en sciences sociales, Alec Stone Sweet, avec qui j’ai co-écrit « The Evolution of International Arbitration: Judicialization, Governance, Legitimacy », un ouvrage paru en 2017 à Oxford University Press.
Après 10 ans de recherches sur l’arbitrage, j’ai commencé récemment à m’intéresser à une autre étude de cas en lien avec ma thématique générale de recherche. Lors d’une promenade sur le port de Cassis, je suis tombé sur un bâtiment, la prud’homie de pêche. Cette institution m’a intrigué et j’ai appris qu’il s’agissait d’un tribunal assurant le règlement des litiges entre pêcheurs depuis le Moyen-Âge, de manière plus ou moins autonome vis-à-vis de l’Etat. Je me suis rendu compte qu’il existait de nombreuses prud’homies en France. Je m’y suis beaucoup intéressé et j’ai obtenu un financement de l’Agence nationale de la recherche pour étudier la prud’homie de Marseille, une institution née au Moyen Age et qui a survécu en assurant aux pêcheurs une forme de régulation de leurs activités. Cette longévité m’a interpellé, et j’essaie depuis d’en comprendre les raisons!
De manière plus analytique, cette étude de cas permet de revisiter une théorie qui s’est développée dans les années 90 aux Etats-Unis, la théorie dite « des ordres privés » qui soutient qu’un certain nombre de systèmes de petite taille, autogérés, sont plus efficaces que d’autres formes de gouvernance, en particulier de l’Etat, pour réguler la vie sociale. Mon étude de cas tend à prouver que ces ordres privés n’offrent pas toujours une alternative viable aux formes de gouvernance classiques.

PC : Vous venez d’être médaillé de bronze du CNRS, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est cette récompense et ce que cela signifie pour vous ?

Florian : Il y a plusieurs médailles au CNRS (Or, Argent et Bronze) qui correspondent à différents stades d’avancement dans la carrière de chercheur. La médaille de bronze est décernée tous les ans à une quarantaine de lauréats. Elle « récompense le premier travail d'un chercheur, qui fait de lui un spécialiste de talent dans son domaine. »
Ce n’est pas une médaille pour laquelle on postule, c’est le CNRS qui désigne les lauréats. C’est une grande joie d’avoir été reconnu par mes collègues du CNRS, d’avoir été remarqué, de voir que mes recherches ont pu être appréciées par des personnes que je ne connais pas. C’est agréable de voir que les efforts que l’on faits, qui sont significatifs, sont reconnus par nos pairs. Le métier de chercheur est un métier où il faut être très autonome, qui peut se révéler être très fastidieux, répétitif et dans lequel les récompenses sont rares. Alors, lorsqu’elles arrivent, cela constitue une forme de reconnaissance et de motivation pour continuer à faire avancer la science à mon modeste niveau !

PC : Vous êtes donc un « jeune chercheur prometteur dans [votre] domaine » (ndlr : bravo !), comment voyez-vous la suite, le futur ? Quelles recherches aimeriez-vous mener ?

Florian : Mon avenir sera très similaire à mon présent, car il me satisfait amplement. J’aimerais poursuivre mes recherches en trouvant d’autres études de cas et en étendant ces recherches afin de creuser les questions qui m’intéressent. C’est la vocation de ma vie professionnelle. Il faut par ailleurs que je continue à trouver des financements pour pouvoir mener mes recherches futures.
J’aimerais continuer l’enseignement, pourquoi pas à l’Université Paris Nanterre !
Mais je vais surtout continuer à écrire et à publier. Pour un chercheur c’est essentiel, et l’écriture est une liberté incroyable.

PC : Quel prix aimeriez-vous avoir un jour ?

Florian : Plutôt que d’avoir un prix, je souhaiterais que ma curiosité ne se tarisse jamais et que je continue de faire des recherches intéressantes pour moi-même et, si possible, pour les autres . Ce qu’il faudrait plutôt me demander, c’est ce que j’aimerais écrire ! J’aimerais écrire les choses les plus pertinentes possibles qui intéressent le plus grand nombre possible.

PC : Qu’est-ce que vous aimez à l’Université Paris Nanterre ?

Florian : Mon intégration au CTAD a été très agréable, j’ai été très bien accueilli par Mr Brunet à l’époque puis par Mr Halpérin (ndlr: le directeur du CTAD, et son prédécesseur). Un centre où les recherches portent sur la théorie du droit, qui analyse le droit comme objet théorique et pas comme une donnée purement concrète en lien avec la pratique juridique, c’est assez rare ! Il y a une grande curiosité au sein du CTAD, on emprunte parfois à d’autres disciplines que le droit, à la sociologie par exemple, ou à l’histoire du droit.
Nanterre est un endroit où il a une grande ouverture d’esprit, une grande tolérance à l’égard des idées nouvelles, des nouvelles méthodes. C’est important dans un milieu qui peut être parfois très conservateur. Entre le CNRS et le CTAD qui sont deux endroits où les idées innovantes sont encouragées et valorisées, j’ai pu développer mes recherches dans des conditions optimales. J’ai toujours reçu un soutien moral sans faille et c’est essentiel car le métier de chercheur est très solitaire.

De manière plus générale, je trouve que l’Université Paris Nanterre est très ouverte, beaucoup plus ouverte que les établissements anglo-saxons qui peuvent être très élitistes et finalement conservateurs.



PC : Que diriez-vous à un étudiant ou une étudiante qui s’intéresse à la recherche aujourd’hui ?

Florian : Déjà, je trouve qu’il n’y a pas assez de jeunes qui s’intéressent à la recherche ! On ne parle pas assez des chercheurs, même quand un chercheur français gagne par exemple le Prix Nobel d’Economie, on en parle finalement assez peu… alors que pour la recherche, c’est comme la Coupe du Monde de football, on ne peut pas faire mieux ! (rires)
Mais je dirais aux étudiant(e)s que la recherche est un métier unique car tout ce qui n’est pas toujours valorisé dans notre société le devient de manière fondamentale: la curiosité intellectuelle, l’ouverture d’esprit, l’ouverture à la critique… Toutes ces valeurs sont fondamentales pour la recherche et elles sont fantastiques !
Il faut aussi savoir que les chercheurs les plus reconnus sont ceux qui essaient de répondre aux questions les plus simples : il y a un côté aventure, nous sommes des mineurs qui creusons dans l’ombre pour faire la lumière sur un sujet. Et ce travail est primordial.

PC : L’Université Paris Nanterre vient de lancer une grande consultation et parmi les projets évoqués il y a la possibilité d’introduire une initiation à la recherche dès la licence, qu’en pensez-vous ?

Florian : Je trouve ça très bien, et très important. La recherche n’est pas quelque chose que l’on décide de faire tout d’un coup, c’est un état d’esprit, une façon de voir le monde, et il est important de l’insuffler au plus tôt. Il faut que les jeunes prennent conscience des possibilités que leur offrent la connaissance et l’innovation intellectuelle.

PC : Merci Florian de nous avoir accordé cet interview ! Un dernier mot ?

Florian : Merci de m’avoir accordé cet entretien. Comme je vous l’ai dit, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont aidé à tracer mon parcours professionnel. Je serais ravi d’aider à mon tour les jeunes qui s'intéressent à la recherche. Ils peuvent m’écrire et je leur répondrai. 


Retrouvez le contact de Florian Grisel sur le site de l'université




Mis à jour le 12 juillet 2019